via blog-emploi.com
Auteur d’ouvrages sur l’épuisement professionnel, le burnout, et d’un Dictionnaire de la fatigue, le psychosociologue Philippe Zawieja s’intéresse à un nouveau champ d’études : les « fatigue studies ». Un terme qui englobe les situations d’épuisement professionnel mais aussi d’ennui au travail, le boreout. Si le terme de fatigue est souvent défini d’un point de vue médical ou psychiatrique le chercheur associé à l’Université de Sherbrooke (Québec) conserve celui fourni par le dictionnaire des noms communs, à savoir l’impossibilité à poursuivre un effort que l’on a engagé. « C’est la moins mauvaise définition car elle engage la subjectivité de l’individu quand le médecin veut à tout prix objectiver la fatigue. Ce qui n’est pas possible : chacun la vit et la ressent à sa manière. Quand on dit « je suis fatigué », c’est notre propre corps qui parle, il est inutile de comparer d’une personne à l’autre ».
Après les douleurs au dos, la fatigue semble être le nouveau mal du siècle ?
Je ne suis pas certain que ce soit nouveau mais plus on la mesure et on en parle, plus elle semble fréquente. C’est d’ailleurs le propre de notre civilisation qui aime à quantifier les choses dans une volonté d’objectivation mais avec une certaine connotation morale : si on est à l’écart de la moyenne, c’est de la responsabilité des individus…
Concernant la fatigue au travail, comment l’expliquez-vous et pourquoi en parle-t-on autant, aujourd’hui ?
A mon sens l’épuisement professionnel s’explique par les mutations du marché du travail dans les années 90. La fatigue et le stress liés à son emploi ne sont pas des facteurs nouveaux mais auparavant il était plus facile de les contrebalancer. Je m’explique, avant la crise des années 90 et la massification du chômage, il était plus facile d’accepter les points noirs du travail : par exemple en négociant une promotion, ou en quittant un emploi sachant qu’il était plus facile d’en trouver un autre.
Dans le même temps, les exigences au travail ont augmenté. Il faut désormais être polyvalent dans son métier, quitte à faire des tâches et missions peu nobles et/ou gratifiantes. Par exemple, là où une infirmière s’occupait des problèmes de santé de ses patients, elle doit désormais traiter de plus en plus de tâches administratives. Des missions qui se sont ajoutées sans que leur métier leur apporte de reconnaissance. En résumé, le marché du travail oblige à rester coincé dans un métier que l’on n’apprécie plus ou guère et qui exige davantage d’efforts qu’auparavant.
Qu’est-ce qui caractérise selon vous le burnout, l’épuisement professionnel au travail ?
Cette pathologie est la conséquence d’un surinvestissement au travail. J’ai cité auparavant le cas du personnel médical mais on peut évoquer votre cœur de métier, le journalisme. Il se concrétise désormais par l’obligation de savoir prendre des photos ou pour un journaliste reporter d’images à filmer, monter, commenter et envoyer le reportage à sa rédaction. Ce sont des métiers dans lesquels on a envie de s’investir mais leur partie noble n’a pas évolué. Pour autant, les tâches ingrates sont de plus en plus importantes. Donc pour réaliser un travail que l’on estime soi-même de qualité, il faudra travailler plus sur la partie considérée comme non noble, jusqu’à épuisement…
Le burnout est un phénomène que l’on cite en général pour des employés de bureau, il est difficile d’imaginer que ce sont les salariés les plus fatigués…
Le burnout est en effet une fatigue davantage psychologique que physique. D’ailleurs, les managers ne sont pas en reste : le fait de gérer l’humain est assez éprouvant. C’est d’ailleurs ce qui gêne dans la définition du burnout. Autant la fatigue physique est perçue comme assez « bonne », en tout cas on sait qu’elle cède au sommeil et qu’elle se matérialise, par exemple, par des courbatures. Mais la fatigue psychologique ? Toutes les personnes qui la subissent ne la comprennent pas car on ne sait pas forcément où elle se situe.
Le boreout, l’ennui au travail, entre aussi dans le champ de la fatigue au travail, de quoi est-il révélateur ?
Le boreout, c’est lorsque l’on perçoit le travail comme absurde. Ce facteur tend à croître en même temps que les entreprises grossissent. Plus elles gonflent, plus elles mettent en place des procédures : des tableaux, des reportings, des réunions format PowerPoint. Il devient alors plus important de montrer que l’on fait que ce que l’on sait faire.
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La fatigue est-elle propre à notre société ?
Ce qui est certain c’est que notre culte de la performance conduit à cet état. Quelle que soit sa sphère – pro ou privée – il est désormais important d’être performant en tout. Etre un bon parent, un salarié travailleur et efficace, un vacancier baroudeur, qui part au bout du monde avec un planning de ministre. Les enfants n’y échappent pas. Après l’école, on les amène à un club de sport ou de musique. Bref, on leur apprend jeune à déjà manquer de temps…
Un autre phénomène entraîne de la fatigue : la porosité des sphères professionnelle et personnelle. Et il n’y a pas que le pro qui s’immisce le soir dans le perso. Combien de salariés réservent leurs billets d’avion au travail ? Selon moi, pour limiter la fatigue, il faudrait cloisonner les sphères. Chacune devant correspondre à un niveau de préoccupations qui ne se cumulent jamais ou le moins possible. J’ai bien sûr conscience que ce discours peut sembler très rétrograde.
Comment trouver de nouvelles solutions mises en place pour limiter la fatigue au travail ?
En revoyant les méthodes de travail et de management. Il faut commencer par réintroduire du sens au travail, se demander s’il est véritablement nécessaire de faire autant de réunions. Aussi, augmenter les feedbacks de la part de managers, qu’ils soient positifs ou négatifs d’ailleurs.
Et puis, il faudrait surtout apprendre à lever le pied, apprendre à reprendre son souffle. D’ailleurs le succès de la marche ou du forest bathing, au Japon, va dans ce sens. Les habitants s’y rendent pour prendre leur temps, déconnecter et déstresser…